Mémé et le moine, une amitié précieuse
La correspondance, entretenue entre le compositeur espagnol Manuel de Falla et la claveciniste franco-polonaise Wanda Landowska.
La correspondance permet de bien montrer la relation amicale et artistique qui unissait ces deux musiciens
Dans Wanda Landowska – Manuel de Falla : Correspondance (1922-1931) je présente la correspondance, rédigée et annotée par mes soins, entretenue entre le compositeur espagnol Manuel de Falla et la claveciniste franco-polonaise Wanda Landowska. Ils s’étaient déjà rencontrés à Paris où Falla séjourna de 1907 à 1914 et où Landowska résidait depuis 1900.
La correspondance – conduit en français – débuta en 1922, à l’époque où la célèbre claveciniste était en tournée en Espagne. L’opéra El retablo de maese Pedro de Manuel de Falla était un sujet récurrent de leurs premières années de correspondance. Landowska joua la partie de clavecin lors de la création de cet opéra à Paris en mai 1923, après quoi elle commença sa première tournée aux États-Unis. Le Concerto (pour clavecin et orchestre de chambre, 1926) que devait composer Falla pour elle était un autre thème récurrent.
La création de cette œuvre ayant été décevante, les deux épistoliers prirent leurs distances et la fréquence de leur correspondance diminua rapidement. Le contact ne fut pas rompu pour autant, même si des propos très durs furent probablement échangés à l’occasion d’une rencontre à Paris en juin 1927. Les dernières lettres qu’ils échangèrent révèlent que Landowska joua encore à quelques reprises le Concerto. Elle rendit probablement une dernière fois visite à Falla dans son hôtel à Paris en 1931.
En tant que femme juive, d’origine polonaise mais détentrice d’un passeport français depuis 1938, Wanda Landowska se vit contrainte de quitter Saint-Leu-la-Forêt en juin 1940. Tous ses biens furent ensuite confisqués par les Allemands et envoyées à Berlin, où l’Amt Musik (Office Musique) procéda à une sélection et à un inventaire. Après l’évacuation de l’Amt Musik en 1943, les instruments de musique et la plupart des livres furent transférés à Leipzig. Lors du bombardement de Leipzig la bibliothèque musicale trouva refuge au château de Langenau à Hirschberg (Haute-Silésie). Une partie des documents pillés, dont les lettres de Manuel de Falla, fut conservée dans l’abbaye de Banz (Haute-Franconie).
Après la guerre, Landowska apprit de son élève Putnam Aldrich, qui avait rendu visite au frère de Falla, German, à Madrid, qu’une partie de la correspondance (notamment ses lettres à Falla) avait été préservée. Cette nouvelle l’émut profondément car toutes les lettres reçues de Falla avaient disparu. Dix lettres de Manuel de Falla à Wanda Landowska ont finalement été retrouvées. Trois ont été remises vers 1982. Le lieu où ils ont été retrouvées demeure inconnu. Sept lettres conservées en Allemagne par une famille de Nuremberg ont pu être remises entre 1993 et 2001. Étant donné que seules dix lettres de Falla à Landowska ont survécu à la guerre, la correspondance a dû en partie être reconstituée à partir des brouillons rédigés à la main par Falla.
Étroitement liée à celle de sa fille, la correspondance avec Eva Landowska, mère de Wanda, a quant à elle été incluse. Des liens chaleureux s’étaient rapidement noués à l’époque de la création d’El retablo de maese Pedro entre Manuel de Falla et Eva, qui joua le rôle d’intermédiaire pendant les tournées de sa fille. Les paroles réconfortantes de Falla à l’adresse de Wanda après le décès inopiné d’Eva reflètent la profonde affection qui les unissait.
Falla souffrait à l’époque d’une mauvaise santé et son état allait se dégrader les années suivantes. Les troubles politiques qui allaient conduire l’Espagne à la guerre civile en 1936 influencèrent également sa situation. Landowska était retenue par son École de la Musique Ancienne à Saint-Leu-la-Forêt, près de Paris. Tous deux quittèrent leur pays : Falla s’exila en 1939 en Argentine, Landowska en 1941 aux États-Unis. Lui mourut en 1946, elle en 1959.